Le blog de Raphaël Mahaim

Les dragons et la tentation éco-fasciste

Les dragons et la tentation éco-fasciste

par | Jan 23, 2012 | Générations futures, Migration, Ressources naturelles | 6 commentaires

Aujourd’hui, c’est le Nouvel An chinois. Au pays du soleil levant, on entre dans l’année du Dragon. Il paraîtrait que les enfants nés sous le signe du Dragon connaissent une vie longue et faste. Les démographes s’attendent ainsi à une explosion de naissances en terre chinoise pour l’année à venir. En raison de la politique de l’enfant unique, les parents « visent » les années exceptionnelles pour leur (unique) descendance…

Je ne suis ni sinologue ni démographe, aussi m’abstiendrais-je de commenter longuement ce « non-événement » levantin. La politique totalitaire chinoise n’en est pas à sa première manifestation d’absurdité. Nul besoin cependant d’être à l’autre bout du monde pour se heurter à de telles dérives éco-fascistes, du moins dans le discours ambiant. Le Nouvel An chinois est ainsi l’occasion rêvée de faire le point sur la « question démographique », qui se pose en Suisse et en Europe de manière récurrente.

La tentation éco-fasciste d’une régulation de la démographie ne date pas d’hier. On se souvient des thèses du pasteur anglican Malthus, qui préconisait au début du 19ème siècle de limiter les naissances pour mieux préserver les ressources naturelles. Il faut dire que l’axiome de base du « raisonnement malthusien » est en soi peu contestable : toutes choses égales par ailleurs, deux êtres humains consomment davantage de ressources qu’un seul ; huit milliards d’êtres humains sur terre en consomment davantage que quatre…

L’évolution démographique d’une population dépend de deux variables : le solde dit « naturel » et le solde dit « migratoire », le premier se définissant comme la différence entre les naissances et les décès, le second comme la différence entre l’immigration et l’émigration. Ainsi, si l’on souhaite « réguler » l’évolution démographique, il n’est d’autre moyen que de s’en prendre à l’une de ces deux variables.

Prenons le cas du solde migratoire, tout d’abord. C’est la grande idée de l’initiative ecopop, lancée l’année dernière par un groupement prétendument écologiste : en restreignant davantage l’immigration vers la Suisse, on stabilisera l’évolution de la population résidente et préservera mieux les ressources du territoire helvète. Sans même parler des difficultés que nous aurions à garantir le financement de nos assurances sociales, ce modèle est totalement erroné dans une perspective environnementale mondiale : si les personnes refoulées aux frontières ne « consomment » pas de ressources en Suisse, elles le feront ailleurs, ce qui est équivalent du point de vue du bilan environnemental global. Une politique visant à réguler le solde migratoire ne peut se fonder sur des arguments écologistes ; elle masque d’autres intentions, qui se résument bien souvent à la seule et unique défense de son « pré carré », au mépris total des enjeux planétaires. On comprend ainsi mieux pourquoi certains membres de l’UDC soutiennent cette initiative.

Venons-en au solde naturel, maintenant. Il s’agit là d’une question presque métaphysique : l’espèce humaine peut-elle s’imposer elle-même des restrictions quant à ses facultés reproductrices ? S’il s’agissait d’un choix collectif délibéré, voulu et accepté par l’ensemble de la population, on pourrait encore discuter. Mais tel n’est jamais le cas. A l’image de la Chine, une telle mesure ne peut être que le fait d’un régime totalitaire. Car cela constitue la négation même de la liberté fondamentale qu’a chaque être humain de faire – ou de ne pas faire – des enfants. Si l’on se prend à cette liberté, on réduit les êtres humains à une simple espèce animale dont un être « supérieur » – en l’occurrence un régime totalitaire – devrait réguler l’évolution. Or, ce qui distingue l’être humain des autres espèces vivantes, c’est sa capacité à produire du sens, à agir en conscience et à se montrer responsable de ses choix.

Ceci ne signifie bien entendu par pour autant qu’il faille renoncer aux mesures d’ordre social permettant indirectement de diminuer le taux de natalité. On sait maintenant que les scénarios de Malthus étaient biaisés sur un point central : la croissance d’une population ne peut pas être infinie ; à partir d’un certain niveau de prospérité et d’accès aux soins médicaux, le solde naturel tend à s’équilibrer « naturellement », grâce à une diminution de la natalité. Dans les pays du Sud qui n’ont pas encore fait cette « transition démographique », il convient de tout mettre en oeuvre pour faciliter l’accès à la contraception, aux plannings familiaux, aux soins médicaux, etc.

Le « problème démographique » n’est pas de ceux qui appellent des solutions à l’emporte-pièce. Il est bien souvent le cache-sexe de ceux qui ont d’autres desseins masqués, aux relents nauséabonds. En réalité, le vrai problème est celui de nos modes de consommation. A l’évidence, nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à nous comporter comme des prédateurs sur cette terre. Il faut changer de cap, trouver des moyens alternatifs de faire mieux avec moins. C’est alors qu’intervient à nouveau la spécificité de l’être humain : sa capacité à agir en conscience et de manière responsable. Nous en sommes malheureusement éloignés aujourd’hui, mais ce n’est certainement pas une raison pour tenter l’expérience éco-fasciste d’une limitation des naissances… ou alors cela signifie que nous avons perdu toute foi en la capacité des sociétés humaines à prendre la mesure des défis qui les attendent.

6 Commentaires

  1. Alexandre Medawar

    Pourquoi le volontarisme en ce qui concerne la protection et la régulation des ressources naturelles ne serait-il pas de mise quant à notre propre espèce ?
    La régulation démographique, positive ou négative, n’est pas une invention chinoise, ni même humaine. L’écosystème est le premier à la pratiquer, tant dans le monde végétal que dans le monde végétal.

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    • Alexandre Medawar

      … que dans le monde animal ! Evidement…

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      • Raphaël

        D’accord que la régulation existe aussi dans le monde animal et végétal. Mais comme indiqué dans le papier, je refuse de considérer l’être humain comme une espèce animale ou végétale comme les autres… Bien cordialement

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  2. Antoine

    Joli texte, merci. Pour ma part je diverge sur un seule point, c’est tes arguments pour expliquer les différences entre humains et animaux. Selon moi, les animaux ont une capacité incroyable à produire du sens, pas au niveau intellectuel certes mais à bien d’autres égards, tel que celui de la préservation de leur environnement par exemple. De plus, produire du sens… pour qui et pourquoi? Le sens, pour moi, n’est pas une vérité mais une perception et je parie que ce qu’il font ont du sens pour eux, un sens probablement plus proche de leur conscience que notre perception du bon sens par rapport à notre conscience.Cependant, j’accepte volontiers de discuter sur la capacité du développement de la conscience d’un être humain et de celle d’un animal car je pense effectivement que notre potentiel dépasse et de loin celui des animaux. Enfin, la responsabilité de ses choix… alors là je doute profondément car je n’ai pour ma part jamais vu un animal avoir honte, regretter quelque chose, ou encore se suicider. (le dernier point est aussi largement discutable) je te laisse des portes ouvertes… ;-). Pour moi il y a bien une espèce qui n’assume pas les responsabilités de ses actes et agit individuellement comme si elle était physiquement immortelle…je n’ai malheureusement pas besoin de le nommer…

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  3. Antoine

    Tout ça pour dire que je suis entièrement d’accord avec toi! 😀

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  4. Olivier Fournier

    si l’on considère l’animal comme une machine à viande et l’homme comme une machine à vivre, il est facile de changer les points de vues…l’état vous a tous à l’oeil et d’ici peu,son arme favorite: la procédure vous démembrera alors que vous aviez un sourire benêt aux lèvres.
    Amicalement

    Réponse

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